C’est une déclaration qui aurait pu faire trembler les murs de la République, si elle n’était pas aussi absurde qu’infondée. Invité de la radio Top Congo, Jean-Pierre Bemba, vice-Premier ministre en charge des Transports, a affirmé — sans ciller — que 66 millions de dollars auraient été transférés chaque mois au Rwanda pendant 18 ans, pour un prétendu « effort de guerre ». Soit 792 millions par an, et un total délirant de 14,3 milliards de dollars… sous le régime de Joseph Kabila.
Le problème ? Cette histoire ne tient debout ni économiquement, ni historiquement, ni administrativement. Et à la lumière des faits, une seule conclusion s’impose : Jean-Pierre Bemba a menti. Effrontément. Publiquement. Dangereusement.
Un mensonge qui insulte la raison
Dès l’instant où ces chiffres ont été prononcés, économistes, juristes et anciens hauts fonctionnaires ont levé les yeux au ciel. Car aucun budget de la République Démocratique du Congo, entre 2001 et 2018, ne permettait d’absorber une telle fuite financière sans faire imploser l’État.
Prenons un exemple concret : en 2001, l’année de la mort de Laurent-Désiré Kabila, le budget de l’État était de… 273 millions de dollars. Comment aurait-on pu en transférer 792 millions au Rwanda la même année, soit près de trois fois le budget global ? Et ce, sans que personne ne s’en aperçoive ? La logique la plus élémentaire s’effondre ici comme un château de cartes.
Une époque de misère et de réformes
À l’arrivée de Joseph Kabila, le pays est à genoux : 550 % d’inflation, croissance à -6,9 %, un État exsangue et un peuple écrasé. En réponse, le gouvernement engage — avec le FMI — une série de réformes de rigueur budgétaire extrême, comme la gestion « sur base caisse », qui interdit tout engagement de dépense sans ressource disponible.
Entre 2001 et 2003, les budgets tournent entre 400 et 546 millions de dollars. Où, dans cet étau financier, Bemba a-t-il vu 14 milliards s’éclipser vers Kigali ? Ce genre de fantasme budgétaire n’a sa place ni dans un débat sérieux, ni dans un gouvernement responsable.
Bemba, acteur de la gestion qu’il dénonce
Mais l’ironie la plus amère reste ceci : entre 2003 et 2006, Bemba est lui-même vice-président de la République, en charge de la Commission économique et financière. Mieux (ou pire), il se donne un rôle de filtre ultime dans la chaîne de la dépense publique. Aucun paiement important ne pouvait être exécuté sans son feu vert.
Alors, si une opération de cette envergure avait jamais existé, Bemba en aurait été le co-signataire, le témoin, voire le bénéficiaire. Qu’il accuse aujourd’hui d’un ton accusateur, sans avancer le moindre début de preuve, témoigne d’une manipulation grossière de l’opinion publique, à des fins politiciennes.
Des chiffres qui ne mentent pas… contrairement à lui
En 2007, les recettes budgétaires atteignent péniblement 1,5 milliard de dollars, dont 1,07 milliard provient de ressources propres. Une évasion de 792 millions vers un pays tiers aurait absorbé plus de la moitié du budgetnational. Une telle opération aurait déclenché une crise macroéconomique majeure, enregistrée, analysée, dénoncée. Ce ne fut jamais le cas.
Une dérive verbale aux conséquences politiques
Par cette déclaration aussi fausse que fracassante, Jean-Pierre Bemba ne se contente pas de mentir. Il mine la crédibilité du gouvernement dont il fait partie. Il diffame une période entière de l’histoire nationale sans rigueur ni preuve. Il désinforme l’opinion publique, en prétendant dévoiler un “scandale” qui n’a jamais existé.
Le président Félix Tshisekedi, soucieux de vérité et de respect des institutions, serait bien inspiré de se désolidariser de cette rhétorique toxique. Car dans une démocratie responsable, un ministre qui ment aussi effrontément doit rendre des comptes.
L’histoire retiendra ceci : les chiffres ne mentent pas. Jean-Pierre Bemba, si.