D’abord les faits, rien que les faits : le 15 février 2023, l’IGF publie son rapport final sur les investigations menées par ses experts sur l’exécution du contrat sino-congolais par la Sicomines, contrat signé en 2008. La réaction de l’ambassade de la Chine en RDC frôle l’incident diplomatique. Sage, le Chef de l’Etat Félix Tshisekedi propose la mise sur pied d’une commission tripartite comprenant les officiels (gouvernement et cabinet de la Présidence de la République), le GEC (Groupement des Entreprises Chinoises actionnaire majoritaire dans la Sicomines) et Société civile. But : trouver une solution consensuelle au problème posé. Du 24 au 28 mai 2023, le Président Félix Tshisekedi effectue sa première visite officielle en Chine où il est très bien accueilli par son homologue chinois Xi Jinping.
Pendant que tout le monde s’attend à un clash à propos de l’initiative de re-visitation du contrat sino-congolais, Félix Tshisekedi fait preuve d’une finesse diplomatique ayant surpris même ses proches collaborateurs. Ainsi, la Commission mise sur pied va fonctionner calmement, à l’abri de tout soupçon, de toute pression. Le 14 mars 2024, en sa présence, les trois parties signent l’Avenant n°5 consacrant la fin des négociations au sein de la Commission placée, pour rappel, sous l’autorité de son Directeur de cabinet. L’information la plus intéressante pour la RDC, c’est l’accord pour le financement, à hauteur de USD 7 milliards, des Routes nationales visant l’interconnexion des provinces. Ministre d’État chargé des Infrastructures et Travaux publics, Alexis Gisaro parle même de 5.000 km de RN à aménager. Six mois après, en ce mois de septembre 2024, éclate le scandale des jetons de présence. Mieux trois scandales dans une même affaire.
L’IGF n’a qu’à publier la liste nominative des bénéficiaires
En toute logique, c’est au Gouvernement congolais de prendre en charge le paiement de ces jetons dès lors que la révision a été faite à son initiative, et non à celle de la Sicomines, soit-elle une société de droit congolais et ayant parmi ses actionnaires la Gécamines, société d’Etat à 100 % congolais. A la limite, la ponction devait s’opérer sur les dividendes de la celle-ci. Or, la Commission a fait prendre à la Sicomines le payement total des jetons de présence, soit USD 28 millions, à distribuer aux 262 experts. Premier scandale.Deuxième scandale : dans sa tentative de se tirer d’affaire, l’IGF commence par nier le montant de USD 30 millions versé par la Sicomines mais plutôt USD 28 millions. Ce qui est vrai.
Seulement voilà : elle reconnaît que cette somme est défalquée des USD 7 milliards « générés par le processus de revisitation du contrat chinois ». Ainsi, l’enveloppe négociée dans l’Avenant n’est pas que pour les Routes. Elle commence à être ponctuée pour d’autres besoins. Précédent vraiment fâcheux. Troisième scandale, l’IGF affirme : « Après 9 mois des travaux et 32 réunions à la Présidence de la République, la Commission a rendu son rapport au Président de la République, faisant état de la récupération de 7 milliards de dollars pour la RDC… Au vu du résultat, la Haute Hiérarchie a ordonné que les jetons de présence à prélever sur les 7 milliards de dollars soient payés à tous les membres pour les 9 mois de travail et 32 réunions tenues. L’IGF (Inspection Générale des Finances) a été choisie pour procéder à ce payement. Au total, 28 millions de dollars ont été payés à 262 personnes pour le travail abattu durant cette période ». Pourtant, en sa qualité de conseiller du Chef de l’Etat en matière des finances publiques, l’IGF – on vient de le relever – savait qu’il ne revenait pas à la Sicomines, qu’elle a livrée des années durant à la vindicte populaire, à prendre en charge des frais ayant tout d’une « amende » qui ne dit pas son nom. Mais, elle n’est surtout pas sans savoir que la « Haute Hiérarchie » à laquelle elle fait allusion est le Président de la République. L’animateur de cette Institution n’a pas constitutionnellement compétence d’engager l’Etat dans une telle opération. Il fallait trouver une autre formule pour ne pas l’exposer. En plus, la distribution des jetons de présence aux 262 experts révèle une injustice flagrante en ce que la majorité a perçu des sommes modiques et dérisoires, la grosse part ayant été distribuée à des services n’ayant rien à voir avec les ministères et les services plénipotentiaires.L’IGF n’a qu’à publier la liste nominative des bénéficiaires avec les parts individuelles pour convaincre l’opinion de son sens de justice distributive.
Et ça, c’est le résultat de l’expertise de l’IGF
On peut ajouter un quatrième scandale : en faisant payer à la Sicomines des jetons de présence pour des séances de travail menées en toute logique au détriment de cette enteprise, l’IGF porte un coup dur au climat des affaires auquel Félix Tshisekedi accorde un intérêt soutenu. En effet, les investisseurs, nationaux et étrangers, sont comme avisés qu’en cas de contrôle, ils seront obligés d’assurer les frais d’exécution des missions que l’IGF ou un autre service aura à ordonner. Pourtant, au cours des travaux en commission, le ministère des Finances, le ministère des Mines et la DGI (Direction Générale des Impôts) ont émis des réserves avant la signature de l’avenant du fait d’avoir constaté que les conclusions de la renégociation de la Convention Sicomines n’ont pas résolu les déséquilibres. Notamment le manque à gagner occasionné par les exonérations fiscales totales non quantifiées ni évaluées accordées à cette entreprise. Faut-il d’ailleurs relever que le ministre Nicolas Kazadi a systématiquement été écarté des discussions alors que la question portait sur les finances publiques. Les échos recueillis des experts font état de son emprise sur le déroulement des négociations. Ce service s’est, en effet, substitué aux ministères concernés (Finances, Budget, Mines, Infrastructures) tout comme de la BCC, violant délibérément la loi qui ne lui econnaît pas cette compétence. Chercher à détourner sur Nicolas Kazadi l’attention de l’opinion sur ses propres dérives a également tout d’un scandale ! Car la vérité unique est qu’au départ, l’affaire Sicomines avait été très mal engagée par l’IGF. On se souvient de la réclamation d’un redressement fiscal de USD 20 milliards qu’elle n’a pas obtenu. Prétendre avoir récupéré 7 milliards USD d’un montant non indiqué a quelque de surprenant. Ce qu’elle ne dit pas, primo, c’est que ce montant va se consommer sur une période d’au moins deux décennies (20 ans). Ce d’autant plus que chaque année, la RDC ne recevra en moyenne que 324 millions de dollars américains. En 2028, au terme du second mandat, on n’en sera qu’autour de 1,500 milliard s’il faut compter le double prévu pour 2024 ! Ce que l’IGF ne dit pas, secundo, c’est que la perception de ce montant est soumise au prix du cuivre sur le marché international. Si le cours dépasse USD 8.000 la tonne, l’enveloppe est percevable. Au cas où le cours est en déça, la RDC en recevra évidemment mois. Et ça, c’est le résultat de l’expertise de l’IGF. L’autre dirait la face visible de l’iceberg !