Dans une réflexion, l’urbaniste Fiston ILANGI NDEKE, chargé de communication et relations publiques de la corporation des urbanistes congolais a réagi sur le niveau d’effectivité des règles d’urbanisme à Kinshasa en général et dans la commune de Ngaba en particulier.
Ci-dessous la réflexion :
Dans le monde, trop souvent les prescriptions urbanistiques ne sont que rarement respectées. En France par exemple, l’on estime que le permis de construire n’est que demandé que dans la moitié des cas prévus par la loi, et que le taux est plus faible encore pour certaines autorisations. En République Démocratique du Congo, la situation est encore pire. Dès lors, l’on peut avec raison se poser la question de savoir sur les mécanismes qui existent pour faire respecter, c’est-à-dire assurer l’effectivité de ces règles.
Dans plusieurs décennies, la ville de Kinshasa connait des mutations sinon de transformations territoriales par le fait de la prolifération de nouvelles constructions presque partout, les maisons poussent comme des champignons au centre, en périphérie, le long de grandes artères de la ville. La plupart de ces constructions érigées seraient dans la quasi-totalité implantées en marge des normes urbanistiques, au sujet sans doute de l’affectation, de l’implantation au sol, de la hauteur des constructions, de la densité constructible, de l’autorisation préalable de bâtir par l’administration. Ces constructions ne tiennent pas compte des éléments physico-naturels des sites et des dangers que peuvent entrainer leur édification ni moins encore de prescriptions urbanistiques assignées au site
A Kinshasa, Jusqu’à l’indépendance, les quartiers érigés ont éte gardé selon leur aspect conçu par les auteurs des plans particuliers d’aménagement, tant pour les quartiers réservés anciennement aux Européens que pour les cités planifiées. Ce respect était dû au fait que les règles d’urbanisme étant d’ordre public, la violation entraînait les sanctions sévères, entre autres la démolition de l’immeuble, les amendes…Après l’indépendance, ces règles d’urbanisme semblent être ignorées tant par les gouvernants que les gouvernés.
A titre de rappel, depuis 1967 jusqu’au début mois d’aout 2015, la ville de Kinshasa n’avait pas un plan local d’aménagement actualisé et en vigueur. Il fallait attendre le 11 aout 2015 pour avoir un édit portant sur l’actuel plan d’aménagement qui est le SOSAK, le schéma d’orientations stratégiques des agglomérations Kinoises. Mais hélas, l’application de ce nouveau plan sur terrain pose toujours problème. Aujourd’hui, partout dans la ville de Kinshasa, l’on lotit, l’on construit, l’on reconstruit, l’on démolit et l’on modifie sans une autorisation au préalable de l’autorité compétente.
A Ngaba en particulier, les constructions avec autorisation de bâtir sont extrêmement rares, et circonscrites aux quelques quartiers centraux. Il est à noter que l’autorité habilitée à délivrer l’autorisation de bâtir, selon l’arrêté ministériel n°027/CAB/MIN/URB.HAB/CJ/AP/CEH/ 2012 du 3 mars 2012 portant réglementation de la procédure de délivrance de l’autorisation de bâtir et institution d’un cahier spécial des charges y relatif en République Démocratique du Congo, est le gouverneur de province (art.4).
Selon le même texte, toute personne physique ou morale qui désire entreprendre une construction en matériaux durables ou non durables souscrit à une autorisation de bâtir quel que soit l’usage auquel la construction est destinée. L’article 94 alinéa 4 fait obligation au locataire avec option d’une concession perpétuelle, emphytéotique et superficie de réaliser la mise en valeur du terrain loué conformément aux normes en vigueur sur l’urbanisme, l’hygiène et l’environnement.
Il est important de signaler quelque part la faiblesse des acteurs officiels dans ce secteur de l’urbanisme. Les services officiels, dont le rôle est la planification et le contrôle de l’urbanisation, sont complètement impuissants face à l’urbanisation galopante de Kinshasa. L’Urbanisme n’a pas produit un plan de lotissement depuis au moins 20 ans, et le Cadastre ne fait que régulariser des situations de fait, au lieu de se positionner en amont de la distribution des terres
En effet, si les services de l’Etat sont aujourd’hui quasiment absents du processus d’urbanisation et de construction, il se fait quand même, mais dans le désordre. Les terres sont distribuées, ou juste cédées par des chefs coutumiers ou des personnes qui se revendiquant comme « ayant-droit ». Mais dans ces quartiers, qui couvrent aujourd’hui la majeure partie de la ville de Kinshasa, il n’y a pas d’équipements publics, les voies sont souvent discontinues et trop étroites, rendant la vie des habitants de plus en plus difficile. En outre, de plus en plus, ce sont des terres impropres à l’urbanisation (fortes pentes ou zones inondables) qui sont occupées, mettant en péril la vie des gens.
Ce tableau sombre en matière de construction ne fait que se renforcer jour après jour.
L’article 12 de l’arrêté ministériel n° CAB/MIN-ATUHITPR/006/2014 du 04 Avril 2014 portant procédure de l’octroi du permis de construire en République Démocratique du Congo stipule que l’instruction du dossier de demande de permis de construire se fait conformément : au contenu du Manuel des procédures annexé au présent arrêté; à une étude approfondie des documents exigés comme contenu du dossier (volet administratif et volet technique) ; aux prescriptions des plans d’aménagement applicables à l’emplacement considéré notamment en ce qui concerne le prospect, le coefficient d’occupation du sol, la hauteur, la localisation, la nature, le volume, l’aspect architectural du bâti et l’intégration dans le milieu ; aux normes en vigueur en matière de préservation des espaces verts, des équipements collectifs, privés ou publics ; aux dispositions législatives et règlementaires en vigueur en matière de sécurité, de santé, d’hygiène et d’environnement.
En dehors de ces règles précitées, il y a aussi les prescriptions du plan d’aménagement applicables à l’ensemble du territoire national dont l’obligation à toute personne désireuse de construire voir même les services de l’État et les chancelleries y compris, à l’exception des constructions revêtant un caractère secret-défense de solliciter préalablement un permis de construire avant l’édification d’une construction enfin non seulement d’assurer le respect de toutes ces règles précédemment citées et les prescriptions des plans d’aménagement approuvés mais aussi de protéger les données des plans contre les constructions intempestives avant même que ces plans ne soient revêtus de l’approbation légale.
Mais en dépit de toutes ces réglementations contraignantes, l’on assiste aujourd’hui à la prolifération de quartier spontané sinon précaire et surtout à l’occupation lâche et anarchique de l’espace urbain. Ces recommandations sinon obligations de solliciter préalablement une autorisation de bâtir trouve son fondement dans l’ordonnance n° 127/6 du 15 juin 1913 portant règlement sur les constructions dans les circonscriptions urbaines et le décret du 21 février 1949 sur l’urbanisme. Et sous la forme actuelle, la matière est régie par les articles 20 et 21 du décret du 20 juin 1957 sur l’urbanisme et par l’Arrêté ministériel n° CAB/MIN.ATUHITPR/007/2013 du 26 Juin 2013 portant procédure de l’octroi du permis de construire en République Démocratique du Congo tel que modifié et remplacé par l’Arrêté n° CAB/MIN-ATUHITPR/006/2014 du 04 Avril 2014 portant réglementation de l’octroi du Permis de construire en République Démocratique du Congo.
Elle est ainsi conçue: « Nul ne peut dans les villes construire sans préalablement solliciter une autorisation de bâtir… ». C’est donc une obligation. Bien que les textes juridiques ou la législation en matière d’urbanisme existent, leurs effets d’application sont dérisoires sur l’ensemble de la ville de Kinshasa, en generale et dans la commune de Ngaba en particulier.
Du coup, les villes congolaises sont confrontées à un déficit criant en logement dont les besoins s’estiment à 3 millions de logements par année pour l’ensemble du pays.Ces besoins croissants en logement justifient la crise qui s’observe dans la ville de Kinshasa en général et dans la commune de Ngaba en particulier. La réponse partielle et inefficace à cette crise se trouve dans des constructions anarchiques et le manque d’urbanisation sans impact réel dans le social des congolais. A cette crise s’ajoute, la concentration de la population dans un espace très réduit entrainant ainsi un taux d’encombrement et de promiscuité très élevé. Le désengagement de l’autorité en place, par la distribution des parcelles partout sans tenir compte de l’affectation prévue par le schéma directeur, la recherche du lucre, le manque de vulgarisation des lois en matière d’urbanisme et même d’accompagnement pour faire respecter la loi, rendent l’Etat congolais responsable de l’anarchie que nous déplorons tous. Face à cette situation, la population se prenne en charge et produit des constructions, des quartiers précaires sans une quelconque garantie au sujet du respect des prescriptions urbanistiques, bref des constructions et quartiers anarchiques.
En guise de rappel, aux termes de l’article 53 de la loi foncière, le sol est une propriété exclusive de l’Etat Congolais. Il s’ensuit que les particuliers ne peuvent avoir qu’un simple droit de jouissance sur ce bien particulier de l’Etat : c’est le droit de concession. Alors pour se faire, les personnes les mieux placées pour établir les plans parcellaires des terrains à concéder aux particuliers sont : le Président de la République ou son délégué (Gouverneur de province), dans la province qu’il administre, le Ministre des affaires foncières (pour la ville de Kinshasa) (art. 63 de la loi foncière et art. 3 de l’ordonnance 74 – 148 du 02 Juillet 1974). Les terrains à concéder sont offerts au public par un arrêté du Gouverneur ou du Ministre selon que les terres sont situées dans une province ou dans la ville de Kinshasa. L’arrêté crée le lotissement et en détermine la destination. Il indique pour chacune des parcelles mises sur le marché : le numéro cadastral, la superficie et les conditions de mise en valeur.
De tout ce qui précède, Conformément à l’esprit du plan d’aménagement de 1967 de la ville de Kinshasa, aux règles d’urbanisme ainsi qu’à la loi foncière, la commune Ngaba n’aurait pas sa raison d’être car cet endroit était affecté à autres choses. Or, en réalité jusque-là, aucune autorité ayant en charge la gestion foncière n’a déjà eu un arrêté portant création de lotissement dans cet espace afin de le désaffecter et le réaffecter à un usage résidentiel. Mais quel contraste ? La commune de Ngaba ne cesse de se développer sans un sous bassement technico-juridique sinon un repère. Ainsi donc, La commune de Ngaba et la plupart des constructions y érigées ne respectent pas l’esprit du plan d’aménagement de 1967 voir même l’actuel plan qui est le SOSAK ainsi que les textes technico-juridiques en matière d’urbanisme. Conséquences: prolifération de constructions anarchiques dans la commune de Ngaba caractérisée entre autres par : des inondations, de routes en cul de sac, des affaissements des immeubles, la quasi-absence d’une trame assainie ainsi que des équipements,……dans l’aire d’étude or les articles 63 à 66 et 188 de la loi n°73-021 du 20 juillet 1973, telle que modifiée et complétée par la loi n°80-008 du 18 juillet 1980, notamment, exigent que tout terrain soit, avant sa mise sur le marché, loti, cadastré, équipé d’eau et d’électricité et desservi par des voies internes de circulation.
L’urbanisme vise entre autre le développement harmonieux, rationnel et humain des agglomérations…
Alors pour y atteindre, il faudrait avoir et faire respecter certaines mesures techniques, administratives, économiques, juridiques et sociales (prescriptions urbanistiques). L’objectif poursuivi dans cette réflexion est de vérifier si réellement toutes ces prescriptions urbanistiques existent et si elles sont effectives sinon appliquées dans l’aire d’étude.
Notre pays dispose d’une législation énorme mais nous avions constaté que trop souvent ces textes souffrent pour les appliquer.
Les besoins croissants en logement justifient la crise qui s’observe dans la ville de Kinshasa en générale et dans la commune de Ngaba en particulier. La réponse partielle et inefficace à cette crise se trouve dans des constructions anarchiques et le manque d’urbanisation sans impact réel dans le social des congolais. A cette crise s’ajoute, la concentration de la population dans un espace très réduit entrainant un taux d’encombrement et de promiscuité très élevé.
Le désengagement de l’autorité en place, par la distribution des parcelles partout sans tenir compte de l’affectation prévue par le schéma directeur, la recherche du lucre, le manque de vulgarisation des lois en matière d’urbanisme et même d’accompagnement pour faire respecter la loi, rendent l’État congolais responsable de l’anarchie que nous déplorons tous.
La commune de Ngaba qui fait l’objet de notre l’étude est traversée par la rivière Yolo, cette rivière est à l’origine des inondations pendant des fortes pluies, elle se trouve dans un état de vulnérabilité avancée et avec l’absence des infrastructures de canalisation et d’assainissement du milieu, elle constitue une zone de forte concentration des eaux. Pire, l’occupation dans la berge de la rivière à été faite par des chefs des terres au mépris des toutes règles urbanistiques. Il y a donc eu violation des servitudes de cours d’eau « non aedificandi », sans que l’autorité locale réagisse ou prenne des mesures prévues par la loi. C’est une façon d’exposer la population à des risques de pollution, d’insalubrité, des maladies hydriques causées par les inondations, l’humidité. Ainsi la berge de la rivière s’est taudifiée avec des constructions non assistées et tous leurs corolaires. Eu égard à ce qui précède, l’on s’interroge alors :
Existe-t-il réellement des textes règlementaires en matière d’urbanisme dans la ville de Kinshasa? Si oui, quel est le niveau d’effectivité de ces textes ? Si le niveau est faible, quelles sont les causes et conséquences ? Quel est l’état actuel de la commune de Ngaba ? Que faire pour remédier à cette situation ? Nous y reviendrons très prochainement pour des éventuelles réponses et quelques perspectives d’avenir