Non classéAFFAIRE LOI MINAKU (Tribune de Andy Bemba)

AFFAIRE LOI MINAKU (Tribune de Andy Bemba)

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L’indépendance de la justice est la condition essentielle pour l’établissement d’un État de droit, un État où les citoyens peuvent obtenir un jugement impartial et équitable. Elle ne va pas de soi car la justice est le premier attribut de la souveraineté. En R.D.C., L’indépendance judiciaire est une garantie protégée par la Constitution du 18 février 2006, modifiée en 2011. C’est une notion qui est différente de la séparation des pouvoirs.

L’analyse des propositions de loi visant la modification de la loi portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire, de la loi organique portant statut des magistrats et de la loi organique portant organisation et fonctionnement du conseil supérieur de la magistrature nous a emmené à faire ce constat assez dramatique :

• Ces propositions voudraient placer les magistrats du parquet (en réalité, tous les magistrats) sous la responsabilité du ministre de la justice ;

• Elles donnent au ministre de la justice le pouvoir de nommer, de promouvoir et de relever un magistrat de ses fonctions, prérogatives constitutionnelles réservées au Président de la République seul (article 82 de la Constitution),

• Elles lui donnent le pouvoir de présider une conférence des procureurs concurremment avec le conseil supérieur de la magistrature où ces procureurs sont d’office membres ou représentés. Donc le ministre pourra gérer le Procureur Général près la cour de cassation qui a rang protocolaire supérieur à lui.

• Elles déforment le pouvoir d’injonction du ministre de la justice en une plénitude de l’action publique. Cela a pour conséquence d’obliger le magistrat instruit sous l’injonction du ministre de la justice à lui faire rapport écrit de tout sous réserve de sanction disciplinaire. Il peut prendre des mesures conservatoires au cours des enquêtes. Donc c’est lui qui décide de leur issue et non le magistrat ;

  • il élabore le budget du pouvoir judiciaire tant devant la conférence des procureurs qu’avec le conseil supérieur de la magistrature ;
  • Il doit donner son accord audit Conseil pour la nomination, la promotion ou la révocation d’un magistrat du parquet dont proposition en vue,
  • Il dispose du pouvoir de constater la faute disciplinaire et d’obtenir de la chambre disciplinaire l’interdiction de tout magistrat du siège ou du parquet,
  • Toute violation du pouvoir d’injonction du ministre donné lieu à l’ouverture d’une action disciplinaire.

De ce qui précède, il est à conclure malheureusement que ces dispositions constituent une violation grave des dispositions des articles 82, 149, 151 et 152 de la constitution en ce que ces propositions de loi tendent à usurper les prérogatives du président de la République pour les conférer par une loi organique à un ministre, membre d’un gouvernement.
Elles tendent à faire du ministre de la justice une interface entre l’Exécutif et le Judiciaire alors que la constitution ne le prévoit nulle part.
Elles veulent créer un autre organe de gestion des magistrats alors que le conseil supérieur de la magistrature a été institué à cette fin (art 149 et 152 de la constitution).
Elles font intervenir le ministre de la justice à l’élaboration du budget du pouvoir judiciaire alors que cette compétence est dévolue au conseil supérieur de la magistrature seul (art 149 alinéa 1er de la constitution) ;
Elles confondent le pouvoir d’injonction qui est limité à la saisine et ouverture des enquêtes judiciaires à la plénitude de l’action publique réservée au seul PG près la Cour d’Appel aux fins d’assurer la supervision de toute instruction répressive.
Un ministre de la justice ne peut donc prendre des mesures conservatoires et obliger un magistrat à faire rapport en violation du principe de séparation des pouvoirs consacré par les articles 149 alinéa 1er et 151 de la Constitution.
Le ministre de la justice ne peut constater une faute disciplinaire mais la faire constater sur un magistrat car il n’est pas un organe du pouvoir judiciaire. Cela devient donc une ingérence mal ordonnée alors qu’il dispose déjà du pouvoir de saisir la chambre de discipline et celui d’injonction pour ouverture d’une enquête même à charge d’un magistrat.

Pour chuter, il sied de préciser ici que même la révision constitutionnelle de 2011 pour décaler les magistrats du parquet de l’indépendance du pouvoir judiciaire était fondée sur une tromperie en ce sens que la dernière partie de l’alinéa 2 de l’article 149 avait été malencontreusement supprimée.
Ceux qui ont initié ces lois estiment que le magistrat du parquet congolais a le même statut que celui de la France ou de la Belgique. Celui de notre pays a un caractère croisé car il joue également le rôle de juge d’instruction qui, dans ces pays (La France et la Belgique) est réservé à un magistrat du siège. A ce titre, il instruit et peut décider d’un non-lieu (classement sans suite) ou de saisir le tribunal pour les poursuites pénales. Ce que ne fait pas un procureur français puisque réservé au juge d’instruction.

À la lecture de l’arrêt RITE 016 rendu par le conseil d’État sur requête de l’actuel ministre de la justice, l’on constate que sa substance est identique à l’économie d’exposé des motifs de différentes propositions de lois susmentionnées.
Ce qui prouve à suffisance que les défenseurs et les concepteurs de ces lois entendent régler un différend d’interprétation par voie légale.

En somme, ils veulent prendre par la loi ce qu’ils ne peuvent avoir par la constitution qui est verrouillée en la matière sur pied de l’article 220 dont le caractère n’appelle aucun commentaire.

De notre analyse, il est à relever que plusieurs articles pourraient être violés :

  • L’article 82 qui donne au seul Président de la République le pouvoir de nommer, de promouvoir et de révoquer les magistrats ;
  • L’article 149 alinéa 1er qui relève le principe de séparation de trois pouvoirs en marquant l’indépendance du judiciaire vis à vis de deux autres ;

• L’article 149 Al 2 et in fine : seul le conseil supérieur de la magistrature est l’organe de gestion autonome du pouvoir judiciaire ; et à ce titre, il est le seul organe qui en élabore le budget ;

• L’article 152 : qui donne la composition des membres du conseil supérieur de la magistrature. Et elle comprend tous les parquets attachés aux juridictions évoquées à l’art 149 Al 1 encore qu’au ressort des cours d’appel et des PG, il y a deux délégués élus. Y compris pour les juridictions militaires et les auditorats.

• L’article 151 : qui interdit l’ingérence du pouvoir exécutif et du pouvoir exécutif sur le judiciaire et qui défend le législatif de régler un différend ou litige judiciaire par une loi. Ce qui, au vu de l’arrêt R.I.T.E 016 qui a débouté l’interprétation du ministre de la justice, semble être le cas en l’espèce !

  • L’article 220 enfin qui interdit toute révision constitutionnelle en matière d’indépendance du pouvoir judiciaire !

Andy Bemba
Cadre de l’AVC et coordinateur du cadre de réflexion Nouvelle Pensée.

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