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RDC : le Président de l’ADACO plaide pour la création d’un fonds de solidarité en faveur des artistes

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En cette période de fermeture des lieux de l’économique culturelle (bars, boîtes de nuits, salles de spectacle, etc.) dans le cadre des mesures prises par le Président Félix Tshisekedi contre la propagation de la pandémie à coronavirus, les créateurs d ‘œuvres de l’esprit sont victimes et se retrouvent dans une situation sociale encore plus précaire, étant actuellement sans véritables activités lucratives. Sur ce, le cinéaste Balufu Bakupa-Kanyinda, dans une interview accordée à 54 ETATS, a plaidé pour la création d’un fonds de solidarité en faveur des artistes.

54 ETATS : Monsieur Balufu Bakupa-Kanyinda, vous êtes cinéaste et Président de l’ADACO, pourquoi votre organisation propose la création d’un fond de solidarité pour les artistes ?

Balufu Bakupa-Kanyinda : La crise du coronavirus est une menace sans précèdent pour tous les êtres humains en général. Pour combattre le covid-19, le Président de la RDC a décrété un état d’urgence sanitaire, suivi des mesures pour freiner la pandémie. Parmi ces mesures, il y a l’interdiction de regroupements qui a directement occasionné l’annulation de toutes les manifestations culturelles. Ainsi, cette menace se traduit avec des particularités spécifiques pour les créateurs culturels et artistiques, pour tous ceux qui travaillent dans le domaine de l’économie culturelle, artistique et créative. Par exemple, le confinement de la Gombe, commune où se tient bon nombre d’activités de l’économie culturelle, affecte doublement les auteurs et artistes qui sont des victimes de premier plan de la pandémie du covid-19. Dans ce contexte sanitaire qui touche tout le monde, et avec la fermeture des lieux culturels, quelle est la situation de droits d’auteur, de leur collecte, de leur gestion et répartition, maintenant et après le Covid-19 ? Cette inquiétante situation, mondialement partagée, a conduit la CISAC (Confédération Internationale des Sociétés d’Auteurs et Compositeurs), institution internationale regroupant les sociétés de gestion collective de droits d’auteur, à lancer un vibrant appel à ses membres et à leurs gouvernements, en leur demandant d’anticiper pour soutenir la culture par une assistance spéciale aux créateurs d’œuvres de l’esprit.  En Afrique et dans le reste du monde, la recommandation de la CISAC a été suivi par plusieurs organismes de droits d’auteurs. Au Burkina, Côte d’Ivoire, Sénégal et ailleurs, les sociétés en charge de droits d’auteurs ont attiré l’attention de leurs autorités pour venir en aide aux créateurs d’œuvres de l’esprit et soutenir les entreprises culturelles.

54 ETATS : Et en RDC ?

Balufu Bakupa-Kanyinda : Jusqu’à ce jour, aucune réaction du Ministère de la culture, ou de la SOCODA, société en charge de la gestion collective des droits d’auteur de la RDC.

54 ETATS : Pourquoi ?

Balufu Bakupa-Kanyinda : Allez donc questionner les concernés ! Nous, à l’ADACO (Société d’administration des droits d’auteur au Congo), nous sommes conscients et soucieux de cette question. Notre désir d’anticiper la réflexion est celui d’ouvrir un large débat conséquent et collectivement bénéfique aux artistes, compositeurs, interprètes et à tous les auteurs des œuvres de l’esprit.

54 ETATS : Et pourquoi la SOCODA ne rejoint pas l’appel de la CISAC ?

Balufu Bakupa-Kanyinda : D’abord, la SOCODA n’est pas reconnue par la CISAC car elle ne remplit pas toutes les conditions pour être une société de gestion collective des droits d’auteur. Ensuite, par son fonctionnement, la Socoda semble opère hors de toutes les normes de gestion des droits d’auteur. Cela dure depuis des décennies, avec la même mauvaise gestion, et les mêmes complicités de corruption avec les différents cabinets des ministres de la culture qui se succèdent.

54 ETATS : Et la CISAC ?

Balufu Bakupa-Kanyinda : En 2017, la Socoda a tenté de réintégrer la Cisac. Sa demande d’adhésion a été refusée pour 2 raisons : primo, le défaut de la clé de répartition dans ses statuts – or c’est la clé de répartition qui signifie l’objet, la légitimité d’une société de droits d’auteur et, secundo, la gestion contraire aux normes statutaires qui exigent que le Président du Conseil d’administration (PCA) ne peut être le gestionnaire de la société au quotidien.

54 ETATS : Comment réagissent les artistes, les auteurs, les ayants-droits?

Balufu Bakupa-Kanyinda : Il y a la fatalité, la résilience, les « petit billet verts » pour se taire, l’ignorance de leurs droits… Les artistes qui sont au top, les stars de la musique congolaise populaire, qui devraient bénéficier de la bonne répartition des droits d’auteurs en RDC, sont presque tous affiliés à des sociétés étrangères telles que la Sacem, la Sabam…

54 ETATS : Qui sont ces musiciens ?

Balufu Bakupa-Kanyinda : Je ne vais pas citer des noms. Mais ces musiciens savent que les droits d’auteur font partie de leurs revenus, et ils n’ont pas tort de s’affilier à des sociétés étrangères qui sont respectueuses de leurs membres. Vous savez, dans le panier de droits d’auteurs, la musique représente plus de 60% dans tous les pays. Mieux gérés, les droits d’auteur rapporteraient des dizaines des millions des dollars par an en RDC. Mais tant que la Socoda sera mal gérée, ces artistes auront raison de se mettre à l’abri. La Socoda, par sa gestion anomique, ne peut pas faire la réciprocité qui fait que les droits d’auteurs des étrangers qui sont collectés en RDC sont renvoyés vers chez eux, et vice-versa pour les droits d’auteurs des Congolais collectés à l’Étranger. Avec la SOCODA, il n’y a ni clé de répartition ni réciprocité.

54 ETATS : Pourquoi ?

Balufu Bakupa-Kanyinda : Parce que la Socoda est hors norme. Mais comment la réciprocité pourrait-elle se faire si la Socoda n’est pas reconnue par la Cisac ? Quel artiste ferait confiance à la Socoda alors qu’elle n’a pas la clé de répartition ? N’étant pas reconnue par ses pairs du monde entier, la SOCODA erre hors des règles de la gestion de droits d’auteurs. Ses dirigeants se disputent des miettes qu’ils glanent par-ci par-là en rançonnant les hôtels, bars, etc.

54 ETATS : Vous avez été membre du Conseil d’administration de la Socoda ?

Balufu Bakupa-Kanyinda : J’étais vice-président de son Conseil d’Administration en 2015-16. Sur demande de Feu Banza Mukalay Nsungu (nous nous étions rencontrés à Lubumbashi en 1980-81, lui étudiant à l’UNILU Kasapa et animateur culturel, moi chargé du cinéma au Centre culturel français de Lubumbashi)… Alors ministre de la culture, il croyait fortement que la gestion de droits d’auteur pouvait être reformé et mieux géré. J’étais du même avis. Mais il m’a fallu vite jeter l’éponge, étant incompétent et allergique à l’irrationalité et aux combines.

54 ETATS : Vous vivez et travaillez toujours entre deux avions, entre ici et ailleurs ?

Balufu Bakupa-Kanyinda : Le Covid-19 a vidé le ciel, les avions sont garés, routes et aéroports désertés. Et je suis bien confiné à Kinshasa. Une expérience unique. Mais cela fait des années que nos ordinateurs et Internet nous permettent de travailler à distance.

54 ETATS : Revenons à Covid-19, et au Fond de solidarité. Maintenant que toute l’économie culturelle est à l’arrêt, sans aucun activité artistique lucrative, que va-t-il se passer pour les artistes?

Balufu Bakupa-Kanyinda : Nous voyons que le Covid-19 a conduit à l’interdiction de toutes les représentations publiques, et à la fermeture des lieux des activités économiques. Cela a des conséquences drastiques en termes de baisse des collectes de droits d’auteur, qui sont déjà très minces et très mal gérés par la Socoda. Ces droits vont sensiblement baisser peut-être jusqu’à zéro pour 2020 ou 2021. En effet, contrairement aux autres modes de rémunération artistique, les droits d’auteur ne sont payés qu’après l’exploitation et la diffusion des œuvres. Les ressources financières premières des auteurs proviennent de l’exploitation publique de leurs œuvres. Cependant si les mesures adoptées par notre pays, la RDC, pour barrer la route à la pandémie sont judicieuses, elles entrainent néanmoins l’arrêt de toutes les activités créatives. En conséquence, les créateurs se retrouvent sans ressources pour survivre.

54 ETATS : Et que fait alors l’ADACO ?

Balufu Bakupa-Kanyinda : Dans l’immédiat, notre attention est focalisée sur la situation créée par le Covid-19, qui est socialement catastrophique pour nos auteurs, pour nos artistes. C’est pourquoi faisons la promotion d’une réflexion concrétisable de la mise en place d’un fonds de solidarité pour les artistes. A court terme, l’Adaco veut d’abord combattre l’ignorance. Beaucoup ne savent pas ce que signifie le « droit d’auteur ». Les interprètes (chanteurs, instrumentistes, danseurs, etc.) travaillent sans aucun papier justificatif ni contrat le liant à une œuvre ou à leur « star », afin de bénéficier, le cas échéant, de droits voisins. Et pourtant la Propriété intellectuelle comme le droit d’auteur font partie des droits humains. Ensuite, il y a aussi la faiblesse ou absence des structures représentatives des artistes (syndicats, etc.) qui, à force d’être instrumentalisées par les politiciens, ont perdu toute crédibilité. A l’ADACO nous pensons qu’un travail de pédagogie envers les artistes est nécessaire. C’est une de nos missions: en représentant les artistes, nous défendons leurs droits. Et pour cela, ils doivent connaître leurs droits, pour mieux les défendre eux-mêmes. Enfin, nous disons aussi – et ceci est un APPEL, qu’en ces temps difficiles, pour être solidaire avec les artistes les plus nécessiteux, il est souhaitable que les artistes eux-mêmes s’approprient cette solidarité, qu’ils opèrent en solidarité entre eux. J’ose croire que les stars de la musique congolaise, celles conscientes de la question et des défis que le Covid-19 porte à leur profession, sauront saisir cette opportunité de rejoindre l’Adaco sur cette question… Mohombi est déjà très engagé sur cette question, comme artiste et aussi comme vice-président de l’Adaco. A long terme, dans l’après Covide-19, nous devons faire prendre conscience à nos gouvernants que nous ne pouvons pas développer la RDC sans lui doter d’une politique culturelle active, sans une Loi en matière d’action culturelle.

54 ETATS : A quoi servira ce fond de solidarité ?

Balufu Bakupa-Kanyinda : Le fonds doit soulager les souffrances des artistes et des auteurs. C’est pourquoi l’ADACO propose la constitution de ce fonds exceptionnel de solidarité pour soutenir les créateurs d’œuvres de l’esprit dans leurs difficultés financières dues au Covide-19. Une des pistes serait de convertir les revenus du Fonds de Promotion Culturelle (FPC) en un fonds exceptionnel de solidarité. En proposant la mise en place du fonds spécial de solidarité, l’ADACO rappelle l’importance de la solidarité qui doit être au cœur de tout établissement public de droit d’auteur. Pour le financement, il est à remarquer que des sociétés opérant dans la téléphonies ou dans les médias audiovisuels en RDC, qui exploitent les œuvres de l’esprit, ne s’acquittent pas des droits d’auteurs. La DGDA devrait aussi participer à ce fond de solidarité…

54 ETATS : La DGDA ?

Balufu Bakupa-Kanyinda : Oui. La Direction Générale des Douanes et Assises, la DGDA.

54 ETATS : Et pourquoi ? Comment ?

Balufu Bakupa-Kanyinda : Quand vous utilisez la musique et les images dans votre voiture, sur votre smartphone, lors de vos fêtes, chez vous dans le cadre familial… Il s’agit de la copie privée. C’est comme cela que l’on désigne l’autorisation qui est accordée à toute personne à reproduire une œuvre de l’esprit pour son utilisation personnelle. En contrepartie une redevance peut être payée par les ménages, ou prélevée par la douane sur certains produits pour compenser le manque à gagner des ayants droit, des créateurs. Depuis des années, en RDC, c’est la DGDA qui prélève, en contrepartie du droit de copie, un pourcentage sur les prix d’achat de tout ce qui est susceptible de contenir de la musique, des vidéos, des textes ou des images, sur tous les consommables numériques, appareils multimédia et autres qui exploitent des œuvres audiovisuelles, clés USB, smartphones,  ordinateurs, box internet, etc. En RDC, la copie privée rapporte des dizaines de millions de dollars chaque année.

54 ETATS : Mais à quoi servent tous ces millions alors que les artistes croupissent dans la misère ?

Balufu Bakupa-Kanyinda : La DGDA ou le gouvernement ont probablement la réponse… Cet argent pourrait alimenter le fonds de solidarité et aussi financer l’action culturelle de la RDC. Dans d’autres pays, une part (entre 25 et 30%) de la copie privée finance la création culturelle et artistique, la solidarité ou la mutuelle des artistes par exemple, et le reste sert à rémunérer les ayants droit, auteurs et éditeurs. C’est pourquoi la question de la copie privée, et ses millions des dollars, fait partie des propositions que l’ADACO inclut dans son projet d’ouvrir un débat constructif sur l’avenir des droits d’auteurs et le statut de l’Artiste en RDC.

54 ETATS : Comment ce fonds va-t-il fonctionner ?

Balufu Bakupa-Kanyinda : Cette idée forte de Fonds de solidarité est une proposition importante pour soutenir la vision du Président Tshisekedi pour le changement.

Le changement n’est pas seulement politique ou économique, il est culturel. Profondément culturel. C’est avec la culture, avec ses créateurs et intellectuels productifs, que le Président doit aussi compter pour négocier le tournant important dans lequel se trouve notre pays. Que ce soit pour la lutte contre les antivaleurs, pour le changement des mentalités, contre la corruption ou contre le Covid-19, les artistes répondent présents pour sensibiliser la population. Mais ils ont besoin de respect, de considération et de soutien dépolitisé. A l’ADACO, nous sommes convaincus que le moment est propice avec la création et l’activation des deux entités importantes, sous le contrôle du Président de la République : le Fonds national de solidarité contre le Covid-19 (FNSCC) et le Conseil présidentiel de veille stratégique (CPVS). Le FNSCC devrait incorporer le soutien aux artistes dans ses mécanismes d’assistance ou de soutien aux personnes physiques ou morales, tandis que le CPVS pourrait arbitrer entre l’économie et la question cruciale de l’avenir de l’industrie culturelle en RDC, comme facteur non négligeable de son développement. 

54 ETATS : Et, enfin, comme voyez-vous l’avenir, l’après Covid-19 ?

Balufu Bakupa-Kanyinda : Si personne n’a vu venir le Covid-19, bien malin qui pourrait prédire de quoi demain sera fait. Mais nous devons bouger nos méninges pour anticiper, parce qu’il est bien certain que l’avant Covid-19 sera différent de l’après Covid-19. Dans le contexte exceptionnel dans lequel se trouve la planète entière, tous les pays alignés dans le même confinement et devant les mêmes craintes, nous osons dire que « si nous n’avions pas eu le même passé, nous aurons peut-être le même destin ». Mais quel destin ? Historiquement , les pandémies ont toujours forcé les sociétés humaines de changer leur mode de fonctionnement et d’envisager le monde sous une nouvelle approche, sous d’autres aspects politiques et économiques. Le Covid-19 ne fera pas exception. Les autres évoquent « le nouvel ordre mondial ». Ce terme n’est pas nouveau. Il revient dans l’actualité à chaque fois qu’il y a une grande crise planétaire. Le monde qui vient, l’après Covid-19, ne sera sûrement plus celui que nous avons connu. Nous devons alors anticiper à élaborer des réponses aux futures préoccupations sociales et culturelles. En ce qui concerne l’industrie créative, l’économie culturelle en RDC, nous à l’Adaco, parce que nous sommes convaincus qu’elle est génératrice des revenus importants, nous lançons un APPEL à tous les créateurs, artistes et auteurs, éditeurs, aux opérateurs culturels, à toutes les bonnes volontés et forces vives à rejoindre l’ADACO pour ouvrir une conversation constructive afin de fixer, ensemble, un nouveau cap dans l’approche d’une véritable politique culturelle et, surtout, dans une saine gestion collective de droits d’auteurs en RDC.

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