- L’étrange art de banaliser et quand le politique devient une « grenouille » incapable de sauter et perd l’instinct de survie.
L’analogie saisissante de la grenouille plongée dans une eau dont la température augmente progressivement offre une métaphore particulièrement pertinente, bien que troublante, pour décrypter certains comportements observés au sein de la classe politique congolaise, notamment chez ceux qui semblent développer une capacité déconcertante à banaliser l’inacceptable. Imaginez, en lieu et place du batracien, un homme ou une femme politique congolaise, fraîchement élu(e) ou promu(e), entrant dans l’arène du pouvoir, ce « bol d’eau » initialement tiède des promesses de changement et des aspirations populaires. Au fil du temps, cependant, la température de cet environnement politique se met à augmenter insidieusement. Ce sont les scandales de corruption qui s’accumulent sans conséquences majeures, les détournements de fonds publics qui deviennent monnaie courante, le non-respect flagrant des lois et des institutions, les injustices criantes qui se normalisent sous le poids de l’habitude et de l’impunité. Face à cette montée progressive de l’indignité, notre « politicien-grenouille » développe une aptitude inquiétante à s’adapter, à rationaliser, à minimiser l’impact de ces dérives. Il ajuste sa « température corporelle » éthique, trouvant des justifications sophistiques à ce qui était autrefois considéré comme inadmissible, se convainquant lui-même et tentant de convaincre son entourage que « c’est la norme ici », que « c’est le prix à payer pour avancer », que « les priorités sont ailleurs ».
Cette banalisation progressive de l’inacceptable se manifeste par un discours public édulcoré, où les actes les plus répréhensibles sont euphémisés, relativisés, voire niés en bloc. Les responsables ne sont jamais véritablement tenus de rendre des comptes, les enquêtes s’enlisent, les sanctions sont rarissimes. L’indignation populaire, bien que parfois vive, finit par s’émousser face à la répétition des scandales et au sentiment d’impuissance. C’est ainsi que la température continue de monter, imperceptiblement mais sûrement, dans ce « bol » de la politique congolaise. Les institutions s’affaiblissent, la confiance des citoyens s’érode, le tissu social se fragilise, mais notre « politicien-grenouille », expert en adaptation et en auto-persuasion, continue de croire qu’il peut naviguer indéfiniment dans cette eau de plus en plus toxique. Il a développé une carapace d’indifférence, une capacité à détourner le regard face à la souffrance du peuple et à la déliquescence des valeurs républicaines. Il est devenu maître dans l’art de la rhétorique creuse, des promesses vagues et des diversions médiatiques, tout cela dans le but de maintenir son statut et ses privilèges dans un système gangrené par la corruption et l’impunité.
Cependant, comme dans l’expérience de la grenouille, arrive un point de non-retour. La température atteint un seuil critique où même la plus grande capacité d’adaptation ne suffit plus. La crise éclate au grand jour, qu’elle soit économique, sociale ou politique. Le système, à bout de souffle, menace de s’effondrer. C’est à ce moment précis que notre « politicien-grenouille », confronté à l’imminence du désastre, réalise enfin l’étendue du danger. Il se dit qu’il faut agir, qu’il faut « sauter » hors de ce marasme avant d’être englouti. Mais, hélas, des années de compromissions, de justifications fallacieuses, de cécité volontaire ont eu un coût exorbitant. Toute l’énergie morale et politique nécessaire pour initier un véritable changement, pour rompre avec les pratiques délétères, a été gaspillée dans cette tentative illusoire de s’accommoder de l’inacceptable. Les convictions se sont diluées, la volonté s’est émoussée, la capacité d’indignation s’est éteinte. Le « politicien-grenouille », pris au piège de sa propre banalisation, se retrouve incapable d’impulser le sursaut salvateur.
La question qui se pose alors avec une acuité douloureuse est la suivante : qu’est-ce qui a véritablement anéanti ce « politicien-grenouille » congolais ? Est-ce la température suffocante de la corruption et de l’impunité ? Sans aucun doute, elle a créé un environnement mortel. Mais la vérité profonde réside dans cette incapacité, cultivée et entretenue, à reconnaître le moment où l’inacceptable devient intolérable, le moment où l’adaptation se transforme en complicité, le moment où il faut impérativement « sauter » pour préserver toute intégrité et toute chance de rédemption. Cette métaphore de la « grenouille congolaise » qui banalise tout nous lance un avertissement puissant et urgent. À force de fermer les yeux sur les dérives, de justifier les compromissions, de normaliser l’injustice, on finit par perdre la lucidité et la force nécessaires pour s’extraire d’un système qui nous consume, individuellement et collectivement. Il est impératif de cultiver un sens aigu de l’indignation, de ne jamais cesser de nommer l’inacceptable, et surtout, de savoir quand il est temps de « sauter », de prendre des mesures courageuses pour initier un véritable changement, avant que la température de la banalisation n’atteigne le point d’ébullition fatale pour l’ensemble de la nation.
David MUTEBA KADIMA/Les Points Saillants