Premier acte :
– Vendredi 16 mai 1997 : le roi fuit
Ce 16 mai de l’année 1997, Kinshasa se réveille dans une chaleur moite mais, plus encore, dans la peur. Les Kinois redoutent la bataille annoncée entre les Forces armées zaïroises (FAZ) et l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), une rébellion partie de l’est du pays, soutenue par le Rwanda et l’Ouganda, et dirigée par un certain Laurent-Désiré Kabila. Ce jour-là, les rebelles ne sont plus qu’à quelques encablures de Kinshasa.
Dans la capitale congolaise, les avis sont partagés. Certains espèrent que les FAZ défendront la ville ; d’autres, que les rebelles y entreront sans coup férir.
Le même jour, une autre tragédie se noue. Plus personnelle mais tout aussi politique. Au petit matin, une escorte pléthorique quitte le camp militaire de Tshatshi et fonce vers l’aéroport de Ndjili. Mobutu Sese Seko, maître incontesté du Zaïre, embarque quelques minutes plus tard dans un avion. Direction, son fief de Gbadolite, dans la province de l’Équateur, non loin de la Centrafrique, dans le nord-ouest du pays. C’est la fin d’un règne absolu de trente-deux ans, qui débuta le 24 novembre 1965. Une page tourmentée de l’Histoire du Congo vient de se refermer. Brutalement.
Deuxième acte :
– Samedi 17 mai 1997 : Kinshasa, la capitale, tombe
« Dès notre entrée dans Kinshasa, des Kinois venaient nous saluer, nous tendaient des sachets d’eau, du pain, et même des seaux pour nous laver », se rappelle Albert, 15 ans à l’époque, un ancien kadogo (nom donné aux soldats de l’AFDL, qui comptait de nombreux enfants dans ses rangs).
Ce 17 mai 1997, au petit matin, l’AFDL vient en effet de pénétrer dans la capitale congolaise, par l’est et par petits groupes, sous le commandement d’un chef militaire rwandais, James Kaberebe qui fut l’aide de camp de Paul Kagame en 1994 avant de devenir le chef d’état-major des FARDC – l’armée congolaise – puis ministre de la Défense du Rwanda.
Kinshasa bruisse désormais du son de milliers de bottes en caoutchouc – celles de kadogos – mais l’affrontement entre les forces rebelles et loyalistes n’aura pas lieu. Pour le plus grand soulagement de la population. Les États-Unis, qui comptent parmi les « parrains » de la rébellion, ont « demandé » que les hommes de Laurent-Désiré Kabila n’entrent dans la capitale qu’après le départ de Mobutu.
Pour l’heure, nombreux sont les Kinois à sortir pour acclamer les « libérateurs ». Partout, les rebelles sont applaudis. On entonne des chants à leur gloire. On les rafraîchit avec des poignées d’eau. On leur tend même de l’argent. L’accueil est chaleureux, triomphal même par endroits. À la hauteur du soulagement sans doute.
Les violences épargneront Kinshasa ; cette fois-ci en tout cas.
Dans l’après-midi, Kinshasa tombe officiellement entre les mains des rebelles. Leur arrivée dans la capitale clôt un périple de huit mois, durant lesquels ils ont traversé le pays d’est en ouest, parcourant 2 000 kilomètres au total. Du côté des Forces armées zaïroises (FAZ), c’est la débandade. La soldatesque, démotivée, est quasiment démobilisée. Son commandement, lui, est inexistant. Ses principaux chefs se sont déjà ralliés aux rebelles en ayant pris soin, auparavant, de négocier leur reddition.
Depuis Gbadolite où il s’est réfugié, Mobutu Sese Seko assiste impuissant aux événements. Ce 17 mai, il se résigne, la mort dans l’âme, à quitter son pays pour Lomé, au Togo. Avant que son appareil ne s’arrache du tarmac de l’aéroport de Moanda, près de Gbadolite, des soldats, en proie à un sentiment d’abandon, tirent sur l’avion du Léopard pour tenter de le clouer au sol. En vain. Celui qui a régné sans partage et d’une main de fer sur le pays, trois décennies durant, va réussir à partir. Son destin l’attend au Maroc où il s’éteindra en septembre.
Gbadolite qui pleure, Lubumbashi qui rit. Ce même jour, dans la capitale du Katanga, province dont il est originaire, Laurent-Désiré Kabila transforme l’AFDL en organe de gestion du pouvoir, rebaptise le Zaïre en République démocratique du Congo et s’autoproclame président. Un autosacre napoléonien qui vient clore une folle journée.
Troisième acte :
– Mardi 20 mai 1997 : Kabila, le nouveau maître, prend ses quartiers
L’un part. L’autre arrive. En avion toujours. Il est près de 19 heures à Kinshasa ce mardi 20 mai quand un appareil se pose sur la piste de l’aéroport de Ndjili. À son bord, le Mzee (« le sage » ou « le vieux » en swahili).
Quelques minutes plus tard, il foule le sol de la capitale congolaise, dans laquelle il n’est plus retourné, assure-t-il, depuis le début des années 60. Un peu plus tôt, dans l’après-midi, il a quitté Lubumbashi et le Katanga. Pour l’accueillir sur le tarmac, quelques proches, des officiers et des kadogos. Les services du protocole ont fait dans le minimalisme. Certains y verront déjà un signe d’isolement. En attendant, sur le trajet l’amenant vers le centre-ville, quelques Kinois l’acclament. Ce jour-là, Laurent-Désiré Kabila jouit de l’aura du vainqueur. Il est l’homme qui a chassé le dictateur Mobutu et qui, espère-t-on, ramènera la paix. Comme le reste des Congolais, les Kinois ne tarderont pas à déchanter. Si la campagne militaire du nouveau maître du pays fut brillante, son exercice du pouvoir le sera beaucoup moins.
Quatrième acte :
Jeudi 22 mai 1997 : un gouvernement de salut public est constitué
Laurent-Désiré Kabila veut désormais aller vite et marquer à son tour de son empreinte l’Histoire du pays. Ce jeudi 22 mai, il nomme un gouvernement restreint de salut public. Bricolé à la va-vite, à la légitimité précaire, celui-ci multipliera les ratés et les maladresses, renforçant le sentiment d’improvisation. Il sera remplacé en juin 1997 par un gouvernement de même acabit à qui l’on reprochera également une absence totale de cohésion, des accointances avec l’étranger (le Rwanda et l’Ouganda en particulier) et, plus généralement, un manque d’habileté et d’éthique.
Cinquième acte :
– Jeudi 29 mai 1997 : le président Kabila prête serment
Ce jeudi 29 mai à Kinshasa, « devant le peuple » réuni au stade des Martyrs, Laurent-Désiré Kabila, le nouvel homme fort du pays, prête serment. Sur les statuts de l’AFDL et sur le décret 001 qui lui attribue les pleins pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire. Longtemps, le pays sera régi par un autre décret, le numéro 003, du 27 mai 1997. Un texte composé de treize articles qui ne prévoit rien en cas de disparition du chef de l’État… Il faudra attendre le 18 février 2006 pour que le pays se dote d’une Constitution digne de ce nom.
En attendant, Laurent-Désiré Kabila, se métamorphose à l’épreuve du pouvoir. Lui le tiers-mondiste, révolutionnaire et panafricaniste, admirateur de Nkrumah, Nasser, Mao et de Fidel Castro, se mue peu à peu en autocrate rigide.
Après sa rupture aussi soudaine que brutale, dès 1998, avec ses parrains rwandais et ougandais, sa pratique du pouvoir se raidit. Il devient autoritaire, emprisonne opposants (dont Étienne Tshisekedi) et journalistes, nomme lui-même les députés, etc. C’est la fin des illusions et le retour à une réalité d’autant plus dure que le pays sombre rapidement dans la violence et le chaos généralisé. De 1998 à 2002, la deuxième guerre du Congo fera 6 millions de morts et près de 4 millions de déplacés. Un bilan tragique à la démesure du pays.
Épilogue…
Le 7 septembre 1997, Joseph Mobutu décède au Maroc où sa dépouille repose encore dans le carré chrétien du cimetière de Rabat.
De temps après l’autre, l’histoire du Congo continue.
Delphin TAMBWE